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L'association MEMORIAL98, qui combat contre le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme a été créée en janvier 1998, lors du centenaire de l'affaire Dreyfus.  

Son nom fait référence aux premières manifestations organisées en janvier 1898, pendant l'affaire Dreyfus, par des ouvriers socialistes et révolutionnaires parisiens s'opposant à la propagande nationaliste et antisémite.

Ce site en est l'expression dans le combat contre tous les négationnismes

(Arménie, Rwanda, Shoah ...)

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Retrouvez aussi le quotidien de l'info antiraciste sur notre blog d'actus :

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Pour correspondre avec nous, nous proposer des articles ou des informations,

pour toute question : 

contact@memorial98.org

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21 juin 2015 7 21 /06 /juin /2015 01:31

Robert Faurisson, Dieudonné, et Frédéric Châtillon.Cette semaine, Robert Faurisson passait en procès pour ses déclarations négationnistes à propos de la Shoah dans le film "Un homme", hagiographie réalisée par Paul-Eric Blanrue et diffusée initialement par Marc Georges (voir plus bas à propos de ces personnages), sur le site d'extrême-droite "Medialibre", il y a déjà quatre ans.

 

Le film est accessible en deux clics puisqu'il est disponible sur YouTube. Si l'on cherche à s'informer sur le procès en tapant "Faurisson" dans Google Actus, on tombera immédiatement,  outre la référence au compte-rendu d'audience publié par le Monde, sur le même site Medialibre, référencé comme "actualité" par Google, et sur le site de "publication libre" Agora Vox, qui relaie un article antisémite sur le sujet. 

 

Aussi bien, beaucoup d'intellectuels méconnus, de chercheurs sérieux et ignorés du grand public aimeraient-ils souffrir de la même "censure" et des mêmes "persécutions" que le néo-nazi Faurisson et ses soutiens. 

 

Faurisson passe certes en procès mais ceux-ci ne servent pas à grand-chose. Non seulement parce qu'ils sont menés en proportion une fois sur cent propos négationnistes et  parce qu'ils se tiennent quatre ans après les faits. Mais aussi parce qu'ils semblent souvent traités par les procureurs et les juges comme une affaire de "routine". Ainsi à propos d'"Un homme",  le procureur a-t-il uniquement requis six mois de prison avec sursis ( le "blogueur néo-nazi" Boris Le Lay à l'audience pourtant bien plus faible  vient d'être condamné à 6 mois de prison ferme). La première condamnation de Faurisson à de la prison avec sursis remonte à 1981, pour des propos tenus sur Europe1. Sa dernière condamnation date du 3 octobre 2006. Robert Faurisson n'a jamais été incarcéré, ses sursis n'ont jamais été révoqués, alors même que l'ensemble de son activité consiste à récidiver en  réitérant les mêmes propos, à la ligne près, sans interruption, par ses écrits, ses vidéos et ses enregistrements audio. 

 

Quant aux amendes, nul ne sait, à part le Trésor Public, si Faurisson les paie, ou si comme son grand complice et ami Dieudonné il s'en abstient pendant des années sans encombres. Quand bien même il les paierait, ce serait avec sa retraite de l'Enseignement Supérieur. Robert Faurisson non seulement n' a jamais été révoqué de l’Éducation nationale, mais de plus, il a pu exercer  le métier de propagandiste néo-nazi et négationniste à plein temps. Son salaire de détaché, à sa demande, au Centre national de télé-enseignement, ne comportait  aucune activité effective d'enseignement. En 1980, il a aussi bénéficié d'une mesure collective de reclassement qui lui donne le grade de professeur. 

 

On pourrait se consoler en se disant que les  très rares procès qui lui sont intentés permettent au moins de combattre ses idées. Il suffit de lire l'article du Monde consacré au dernier en date, pour voir que ce n'est pas le cas. L'article comporte sept paragraphes dont trois sont consacrés à la reprise sans commentaire des propos négationnistes du militant d'extrême-droite. Un paragraphe décrit la plaidoirie de sa défense. Sur les trois restants, deux sont une présentation factuelle de l'audience, et un seul décrit les réquisitions du procureur. La majorité de l'article est donc la reprise des propos que le négationniste souhaite voir diffusés à la plus grande échelle possible. Le Monde a jugé cela plus pertinent que d'interroger des historiens du négationnisme ou des victimes des mensonges de Faurisson, survivantEs du génocide. Ce faisant, non seulement le journal reproduit des propos négationnistes, mais il donne même l'occasion à Faurisson de poser en travailleur acharné et prolixe, puisque sont retranscrits ses propos sur les innombrables "volumes" qu'il aurait écrit. 

 

Or comme l'explique très bien l'historienne Valérie Igounet dans son excellente biographie du négationniste, les écrits de celui-ci sont la sempiternelle reprise des mêmes élucubrations, des redites perpétuelles, la répétition en boucle de quelques pseudo-arguments. Il n'y a jamais eu d'"ouvrage définitif" pourtant annoncé par Faurisson depuis vingt ans. On est confronté à une succession d'articles qui renvoient à des articles exactement semblables. Et il suffit d'aller voir son blog, puisqu'il est accessible, pour constater que beaucoup d'entre eux ne sont que de longues tartines à peine lisibles consacrées aux prétendus "complot" contre Faurisson, à des charges interminables contre les combattants anti-négationnisme. Charges dont le niveau peut se mesurer à l'une de ses dernières republications d'un "article" contre Valérie Ignounet: Faurisson ne trouve pas mieux que de répéter plusieurs fois, très fier de cette trouvaille, qu'il la surnomme , comme son acolyte Paul-Eric Blanrue, " Zigounette". 

 

Voilà le niveau des "volumes" faurissoniens, dont Le Monde se fait complaisamment l'écho. De plus le journal omet très étrangement de citer Paul-Eric Blanrue, réalisateur du documentaire incriminé, tout comme son diffuseur Marc George, ancien du FN et fondateur d’Égalité et Réconciliation avec Alain Soral. Pourquoi cette anonymisation des kamarades de Faurisson ? Il y a certes des pays européens où les médias font le choix de ne citer aucun nom lorsqu'ils évoquent les condamnations pour négationnisme, afin de ne pas faire de publicité à ces néo-nazis mais ce n'est certes pas le cas du Monde. Celui-ci fut en effet le  principal responsable de la médiatisation de Faurisson dans la presse en publiant le 29 décembre 1978 sa tribune intitulée : « Le problème des chambres à gaz ou la rumeur d'Auschwitz ». Le quotidien y est revenu sous forme d'autocritique en mai 2014 , sous une forme anecdotique et superficielle, mais continue aujourd'hui à lui offrir des citations in extenso de sa propagande. 

 

Cette anonymisation partielle , visant les co-inculpés du procès, Blanrue et Marc George, a au moins une conséquence délétère: elle efface l'existence d'une mouvance négationniste inter-générationnelle, en ne laissant entrevoir que l'image d'un homme de 86 ans, dont on peut ainsi penser qu'il appartient au passé. Citer Marc George, c'est rappeler le réel des liens entre le Front National et les négationnistes, qui passent d'ailleurs aussi par Frédéric Chatillon, proche de Marine Le Pen et dont les photos avec Faurisson sont trouvables en un clic ( voir notamment l'illustration de cet article). Citer Blanrue, c'est citer non pas un obscur et inconnu néo-nazi, mais un militant d'extrême-droite de toujours, antisémite acharné, qui n'en fut pas moins journaliste à Historia et même ailleurs. En 2013, soit deux ans après la diffusion de son film sur Faurisson, il écrivait encore pour Le Point. Et citer Blanrue, c'est aussi citer un "essayiste" dont la bouillie antisémite fut parfois défendue comme ouvrage à lire, jusque dans les colonnes d'un blog de journaliste du Monde Diplomatique, comme ce fut le cas pour "Sarkozy, Israël et les Juifs", lorsque Blanrue avait inventé une prétendue censure de l'ouvrage.

 

Les conditions et le contexte du procès de Faurisson et de ses acolytes démontrent donc une nouvelle fois l'inanité dangereuse des débats innombrables, malheureusement tenus aussi dans le camp progressiste, sur le combat contre le négationnisme. Depuis des années, la seule question posée est celle des "limites à la liberté d'expression en général" qui auraient été amenées par les lois de lutte contre le négationnisme. Or le négationnisme s'exprime en réalité en toute liberté, et pire, les rares séquences judiciaires, bien loin de mettre un frein à cette expression sont, en raison de l'incurie médiatique ( voire de la complaisance ), une occasion de diffuser un peu plus de propagande.

 

La seule question d'actualité est donc évidemment celle-ci: quand se décidera-t-on à réprimer le négationnisme ?

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6 avril 2015 1 06 /04 /avril /2015 01:25

 

Actualisation du 3 mars 2016 : Memorial 98 salue la mémoire du psychiatre rwandais Naasson Munyandamutsa, qui vient de mourir à l'âge de 58 ans à Kigali. Ce médecin a joué un rôle très important dans la prise en charge des rescapés du génocide des Tutsi de 1994, au cours duquel la quasi totalité de sa propre famille fut massacrée.
 

Pour de nombreux survivants marqués par l’horreur, il a représenté une aide immense. A un mois de la commémoration du génocide le 7 avril, nous adressons des condoléances particulières à nos amis de l'association de rescapés du génocide Ibuka-France.

Memorial 98

 

Le mois d’avril voit se dérouler la commémoration de 3 génocides majeurs du XXe siècle : celui des Tutsi du Rwanda le 7 avril (date du début des massacres en avril 1994) celui de la Shoah le 19 avril (correspondant au début de la révolte du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943) celui des Arméniens le 24 avril (correspondant aux premières arrestations des intellectuels arméniens à Constantinople/Istanbul en avril 1915).

Nous y associons notamment les actions génocidaires en Bosnie à Srebrenica dont le 20e anniversaire aura lieu en juillet prochain, au Darfour, le génocide des Roms, les actions génocidaires du régime khmer rouge au Cambodge et la récente tentative d’extermination des Yézidis d’Irak par Daech...

Ces différents génocides ont des liens entre eux car dans tous les cas les populations promises à l’extermination ont été d’abord été discriminées, stigmatisées, accusées de tous les maux, mises en cause comme préparant des plans hostiles aux pouvoirs autoritaires en place, puis désignées comme ennemies, regroupées, marquées et « étiquetées » sous différentes formes et enfin conduites à l’extermination ou massacrées sur place. Le génocide est l’aboutissement de décennies, voire de siècles, de discriminations.

La possibilité de réaliser un génocide et d’échapper à la punition correspondant à l’horreur de cette entreprise a aussi constitué un puissant facteur d’encouragement pour les génocidaires successifs. Les nazis eux-mêmes trouvaient une stimulation dans la manière dont le génocide arménien demeurait impuni : « Mais qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? » déclarait ainsi Hitler dans une allocution aux commandants en chef de l'armée allemande le 22 août 1939, quelques jours avant l'invasion de la Pologne.

Un autre point commun à ces 3 génocides est la négation de ce qui s’est passé, dans le cadre d’une solidarité avec ceux qui ont perpétré le génocide. Nous luttons contre ce phénomène très organisé, mis en place par les génocidaires eux mêmes et qui constitue avec l’impunité une incitation à de nouveaux massacres. Le but des génocidaires, en tout temps et en tout lieu, ne consiste pas seulement à assassiner les vivants, mais aussi à nier à tout jamais leur existence. C’est pour cette raison que les négationnismes sont consubstantiels aux génocides. En niant, il ne s’agit pas seulement d’une tentative faite par les assassins pour échapper aux conséquences de leurs crimes. Au même titre que les massacres physiques de masse, la négation est au service au service du but final : effacer de l’histoire et de l’humanité une partie des hommes et des femmes qui la constituent.

Cette année avec le centenaire du génocide des Arméniens, nous faisons face au négationnisme d'un appareil d’Etat. Il s’agit de l’Etat turc, qui non seulement refuse de reconnaître qu’il y a eu un génocide organisé envers les Arméniens, mais fait aussi pression dans le monde entier afin que cette reconnaissance n’ait pas lieu.

Les gouvernements turcs successifs mènent en effet un négationnisme d'Etat utilisant des moyens humains et financiers considérables, visant à intimider les universitaires, les journalistes et le monde associatif.

L’une des armes du gouvernement turc consiste à faire plier ses opposants par des procès qui peuvent déboucher sur des dommages financiers colossaux (aux Etats-Unis, les sommes se chiffrent même en millions de dollars) ou au moins sur une perte de temps et d’énergie importante pour les personnes poursuivies.

En France, les historiens, les journalistes, les responsables associatifs, les hommes politiques, dès lors qu’ils travaillent hors des sentiers balisés par l’historiographie officielle de l’Etat turc, s’attirent des pressions, des menaces, des insultes et des appels à la haine, diffusés à grande échelle sur Internet. Ce négationnisme étatique trouve aussi des relais chez des responsables politiques, y compris à gauche et notamment chez Robert Badinter.

On l’a aussi vu lorsque le Sénat et l’Assemblée nationale, pourtant majoritairement à gauche (le Sénat est repassé à droite depuis) ont multiplié les difficultés avant de voter le loi pénalisant la négation du génocide arménien. Celle-ci fut ensuite rejetée par le Conseil Constitutionnel.

Nous en sommes donc à la même situation de blocage, 14 ans après que le Parlement ait reconnu ce génocide. L’exigence de justice et de défense contre le négationnisme d’Etat demeure donc entière, un siècle après la déportation et l’extermination sur les routes de Turquie. À l’occasion de ce centenaire, une grande commémoration aura lieu en Turquie même le 24 avril. De son côté, le gouvernement turc provoque en organisant le 23 et 24 une commémoration du 100e anniversaire de la bataille de Gallipoli, qui a vu les troupes dirigées par Mustafa Kemal Atatürk résister à l’invasion franco-britannique dans les Dardanelles. Le président turc Erdogan a de plus insulté le président arménien en l’invitant à participer à cette commémoration, organisée afin de détourner l’attention de celle du génocide.

Rwanda

Le 20e anniversaire du génocide des Tutsi, qui s’est déroulé durant l’année 2014 au Rwanda, a vu une très importante activité de mémoire. De très nombreux débats, colloques et expositions ont marqué ce 20e anniversaire. Un symbole en est l’inauguration d’une stèle du souvenir à Paris, dans le cimetière du Père-Lachaise. Pour obtenir ce petit monument il a fallu des années de demandes  et des combat des rescapés, représentés par l’association Ibuka ( qui signifie « Souviens-toi » dans la langue rwandaise ) ainsi que de ceux qui les ont soutenus. L’exigence demeure d’un réel lieu de mémoire dans l’espace public ; l’engagement pris dans ce sens par Anne Hidalgo, maire de Paris, lors de l’inauguration de la stèle le 31 octobre dernier, doit être tenu. Des progrès ont aussi été réalisés dans le domaine de la justice puisque enfin des génocidaires ont été jugés et condamnés en France. Ces procès doivent beaucoup à l’action de nos amis du Collectif des parties civiles pour le Rwanda qui poursuivent un combat incessant pour que la justice joue enfin son rôle.

Les habitants de nôtre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda. En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités. Cet Etat qui prétend parler en notre nom, persiste aujourd'hui à garder un silence complice sur l’implication de l’armée française dans le génocide des Tutsi.

Or le pouvoir rwandais a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide. Toute la vérité doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics. De ce point de vue la prochaine mutation statutaire du juge Trévidic est une mauvaise nouvelle. Il a fait franchir une étape capitale à la recherche de la vérité en allant enquêter sur place à Kigali et en rompant avec les efforts mensongers du juge Bruguière concernant le début du génocide.

Nous appelons à participer aux cérémonies de commémoration du génocide des Tutsi, à l’appel d’Ibuka-France et Belgique dont le détail figure sur le blog d'actualités de Memorial 98, l'Info Antiraciste

Les combats contre l’impunité et le négationnisme sont plus que jamais au cœur de nôtre action. C'est aussi dans lutte quotidienne contre le racisme et les discriminations que nous construisons le barrage qui doit empêcher d'autres génocides.

Notre site a publié de très nombreux articles sur les génocides des Arméniens, des Tutsi et contre le négationnisme en général.

Le moteur de recherche situé en haut et à droite de cet article vous permet de les retrouver.

MEMORIAL 98

 

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26 janvier 2015 1 26 /01 /janvier /2015 14:47

maidanek.pngEffacer les traces du génocide au moment où il est perpétré, nier l'Histoire alors même qu'on est en train d'en écrire des pages atroces. "Sonderaktion 1005" (action spéciale 1005), tel était le nom donné par les nazis à l'entreprise négationniste qu'ils ont lancé dès le mois de mai 1942. La Sonderaktion 1005 recouvre toutes les opérations de destruction des preuves des massacres de masse qui constituent la "Shoah par balles", puis la destruction de certains camps d'extermination comme Sobibor et Belzec, ainsi que toutes les tentatives inachevées du même genre à Maidanek, Auschwitz et dans bien d'autres lieux.

 

L'exposition d'une partie des archives filmées des Soviétiques qui a lieu en ce moment au Mémorial de la Shoah à Paris reflète d'abord une victoire sur les premiers faussaires de l'Histoire, les nazis eux-mêmes : nous nous sommes habitués malheureusement aux images des milliers de cadavres, des entassements de squelettes démembrés, à celle des survivantEs exsangues des camps d'extermination. Mais là, les images sont accompagnées du contexte dans lequel elles ont été filmée. On prend ainsi conscience qu'à quelques jours près, si la ligne de front avait avancé un tout petit peu moins vite, les nazis auraient fait en sorte qu'il n'y ait plus rien à filmer, ni morts, ni vivants.

 

Car l'exposition commence par un vide d'images et une parole. Il n'y a aucune image des exécutions perpétrées au gaz dans des camions mobiles par les "Einsatzgruppen" (groupes spéciaux de massacreurs de l'armée)  lors de l'offensive allemande sur la Russie. Lorsque l'Armée Rouge parvient sur les lieux de certains massacres par balles, seules des fosses immenses et vides restent sur place. Et il y a une parole, celles des témoins de ces massacres, de cette première partie du génocide, qui se pressent pour raconter aux cinéastes de l'Armée Rouge, non seulement les assassinats barbares, mais aussi l'entreprise d'effacement des nazis. Ceux-ci ont contraint les populations locales à déterrer les centaines, les milliers de morts, à les brûler, à concasser les os et ont aussi, souvent, tué les exécutants contraints.

 

Au regard du développement du négationnisme après guerre et de ses ignobles mensonges, la parole de ces témoins, qui nous parvient au travers d'enregistrements souvent de très mauvaise qualité, qui pour cette raison n'ont souvent pas été diffusés par les Soviétiques, prend à la gorge. Ces témoignages rappellent que la parole négationniste est en premier lieu une insulte à celles des témoins qui seraient tous des menteurs intéressés. Ces premiers témoignages, faits souvent par des populations non juives qui ont connu elles aussi des souffrances terribles, constituent un moment de très grande humanité. Ce moment pris pour raconter ce qu'ont vécu ceux que les bourreaux voulaient exclure de l'humanité à tout jamais, pour en dire l'horrible spécificité, marque la défaite des nazis, et dit déjà que le génocide ne sera pas oublié.

 

C'est une autre leçon de cette exposition : aussi horrible que cela puisse paraître, la spécificité du génocide commis contre les Juifs aurait pu ne pas être vue. Voici la guerre totale, apocalyptique, qui détruit tout, les hommes mais aussi les paysages,. Ce que filment les cinéastes de l'Armée Rouge est constitué de villes en ruine, de bâtiments incendiés, d'étendues désolées où des planches noircies sont les dernières traces d'un village. La mort et la désolation, des populations affamées, c'est ce que les nazis laissent derrière eux. C'est au sein de cette horreur qu'a eu lieu l'horreur particulière du génocide des Juifs.

 

Mais pour les hommes de l'Armée Rouge qui arrivent en 1944 à Maïdanek ou à Auschwitz, pour ceux qui sont arrivés avant sur les lieux des grands massacres comme le ravin de Babi Yar en Ukraine, pour ces premiers observateurs des traces du génocide, la signification précise de celui-ci n'est pas construite. D'abord parce que le pouvoir soviétique est tout sauf univoque sur la question de l'antisémitisme. Certes, pour effacer des esprits le pacte germano-soviétique de 1939, Staline et les siens ont voulu après l'invasion de l'URSS, redevenir l'avant-garde mondiale de l'antifascisme. Ils ont autorisé la création du "Comité Juif antifasciste" qui, dès 1942, alerte sur l'extermination en cours et mobilise l'opinion publique et les communautés juives sur le continent américain. Ils vont aussi, dès la découverte des premiers charniers, diffuser une partie des images et les envoyer à l'Ouest.

 

Mais dans le même temps, comme tous les Alliés, les dirigeants de l'Union Soviétique souhaitent relayer l'image d'une nation soudée en guerre contre l'ennemi. Le thème de la "Grande Guerre Patriotique" laisse peu de place aux persécutions spécifiques du génocide contre une population que Staline, déjà, montre du doigt, lui , qui dès 1944, dénonce le « chauvinisme Juif ».

 

Les reportages, soigneusement montés déjà, parlent alors des « camps de la mort », et évoquent pêle-mêle toutes les victimes de tous les camps. C'est le cas notamment pour Auschwitz qui fut aussi un camp de concentration et un camp de travail, et dont seule une partie constituait le camp d'extermination. Les « camps de la mort » expriment une vision de l'Histoire qui aura cours longtemps après-guerre non seulement à l'Est mais aussi à l'Ouest.

La réalité de l'entreprise concentrationnaire, effectivement au cœur du système politique construit par les nazis, masque en partie une autre réalité, celle de l'extermination des Juifs, pensée et assumée. Au delà de la volonté politique, cette réalité là n'est pas forcément visible pour les Soviétiques qui découvrent l'immense complexe d'Auschwitz. Dans cet immense complexe même Birkenau et ce qui reste de ses installations de mort n'expriment pas la réalité totale de l'extermination. Elle ne prend pas en compte celle de la majorité des victimes qui descendaient des trains pour être traînées directement par les SS vers les chambres à gaz sans passer par le camp. Ce fut notamment le cas de centaines de milliers de Juifs hongrois déportés vers Auschwitz à partir de mai 1944. 

 

A cela s'ajoute l'antisémitisme qui n'était pas seulement nazi, malheureusement, dans l'Europe de ce temps. L'exposition présente les premiers films sur Auschwitz et montre surtout les images qui ont été coupées : celle par exemple, des cérémonies religieuses juives organisées par les rares survivantEs, tandis que les cérémonies chrétiennes sont gardées au montage. Alors que la guerre n'est pas finie, alors qu'il s'agit de dresser tous les Européens contre le nazisme, on sent cette arrière pensée, qui était aussi présente dans la Résistance à l'Ouest : parler des Juifs ne suscitera pas autant de compassion que parler indistinctement de toutes les victimes.

 

Cette pensée là, qui ne constitue pas seulement une  machiavélisme politique, mais également le reflet d'une part sombre de toutes les sociétés européennes, ne finit pas avec la guerre. Les archives filmées du procès de Nuremberg, comme les films tournés plus tard sur les lieux du génocide dans les pays baltes occulteront de plus en plus souvent la spécificité du projet d'extermination contre les Juifs.

 

Les hommes de la dictature stalinienne ont organisé consciemment cette occultation, qui va évidemment s'accentuer à partir du moment où Staline lance la phase meurtrière de ses campagnes antisémites. Alors que les intellectuels du Comité antifasciste Juif sont systématiquement assassinés, alors que la presse se déchaîne contre le « complot sioniste », il devient nécessaire d'effacer des mémoires ce que fut réellement l'entreprise nazie.  Ainsi quelques années après la Shoah, l'antisémitisme devient une composante du discours et de la pratique soviétique.

 

Mais ce qui est troublant, c'est qu'à cette entreprise d'effacement, volontaire dans la dictature stalinienne, fait écho l'absence de la spécificité du génocide dans la majorité des discours tenus après-guerre dans les démocraties de l'Ouest. Ce qui est troublant dans l'occultation de ces films des années 1950 et 1960 tournés en Union Soviétique, c'est qu'ils ne sont pas si différents de ceux qui étaient tournés dans nos pays, où à l'époque, on évoque les « déportés » sans beaucoup plus de précision. A cette époque, beaucoup de survivants des camps d'extermination ne racontaient pas leur histoire, parce qu'elle ne trouvait pas sa place dans l'Histoire qui faisait sens pour leurs contemporains.

 

Cette semaine, il y aura soixante-dix ans qu'Auschwitz aura été libéré, que ces images auront été tournées. Bien sûr, les combats pour la mémoire ont été gagnés, et les commémorations officielles ne manqueront pas.

 

Mais cette semaine, comme toutes les autres, les vidéos négationnistes seront vues des milliers de fois, témoignant bien d'un intérêt morbide et dangereux pour le travestissement de l'Histoire, pour une idéologie qui affirme avant tout «le génocide des Juifs n'a pas eu lieu, et c'est pourquoi nous sommes légitimes à les persécuter de nouveau ».

 

A l'inverse, et il faut le constater pour le combattre, bien peu de nos contemporains trouveront utile et nécessaire pour leur propre compréhension du monde , d'aller voir ces vieilles images. «  C'est bon on connaît » se diront,  sans penser à mal , une partie des élèves qu'un professeur emmènera là.

 

 

Mais non , on neKlooga--Estonia--Survivors-beside-burnt-bodies--September-1.jpg connaît pas. Ainsi on ne connaît pas Klooga, ce « petit » camp d'Estonie. Là, entre le 19 et le 22 septembre 1944, les SS s'acharnèrent à massacrer au plus vite les Juifs encore vivants, par dizaines, par centaines, et à brûler les corps, alors que l'Armée Rouge approchait. A Klooga, il restait quatre-vingt survivantEs quand le camp fut libéré. Si les SS avaient disposé de deux jours de plus, il ne serait resté personne et tous les corps des suppliciés auraient été brûlés.

 

Connaître les derniers jours du camp de Klooga, c'est percevoir une Histoire qui n'est jamais écrite d'avance. C'est avoir la conscience de tout ce qu'on peut éviter, jusqu'à l'horreur absolue des génocides et de tout ce qu'on peut laisser faire, jusqu'à l'horreur absolue des génocides. Connaître les derniers jours du camp de Klooga, c'est savoir qu'il n'est jamais trop tard pour dire non à la barbarie et sauver des vies.

 

Les images tremblantes, en noir et blanc, de Klooga comme d'Auschwitz, comme la voix lointaine des premiers témoins peuvent sembler banales et surannées, dans une époque où les corps décapités, torturés, bombardés s'affichent quotidiennement sur les fils d'actualité de nos profils et comptes de réseaux sociaux, en couleur et en instantané.

 

Pourtant ces images ont bien quelque chose à nous dire. Parce que les nazis ne voulaient pas qu'elles existent. C'est pourquoi dès le début de l'extermination ils ont engagé des moyens considérables pour faire disparaître les traces de ce même génocide. Ils ne l'auraient pas fait, avant même que ne leur vienne la conscience de la défaite probable, s'ils n'avaient pas eu peur du regard du monde sur ces images, et surtout de la réaction qu'elles allaient entraîner. Les bourreaux qui voulaient nier l'humanité des Juifs avaient peur de l'humanisme, de l'universalisme dont ils savaient le réveil possible, même lorsqu'ils dominaient sans partage.

 

Aujourd'hui partout d'autres bourreaux, d'autres dictateurs, d'autres milices démentes torturent, violent, massacrent et assassinent, et au Rwanda, entre autres, les images du génocide en cours n'ont pas réveillé les consciences des Etats et des institutions internationales. Il semble que les bourreaux contemporains  aient moins peur des gens qui regardent les images de leurs crimes, peut-être parce que nous ne regardons pas vraiment, parce que nous nous contentons de voir, et de nous dire que nous n'y pouvons rien.

 

Au Memorial de la Shoah, actuellement, on entre avec difficulté, comme dans un fort , parce qu'à nouveau, en France, des Juifs sont tués parce qu'ils sont Juifs. Mais justement, il faut y entrer et se réapproprier cette Histoire arrachée aux génocidaires qui voulaient l'effacer. Cette Histoire qui est une arme contre tous les bourreaux, une arme pour nous tous.

 Le site de l'exposition, dont l'entrée est libre se trouve ici

 

 

 

 

MEMORIAL 98

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